Histoire de Langonnet

Qui est ce roi dont le blason de la commune porte les armes? Roi légendaire, à l’instar du roi Markes du Roman de Tristan ou des chefs guerriers de l’Iliade? Réalité indissociable du mythe, comme Arthur? Ou figure prophétique, dont le titre ne reflète que la vénération populaire, comme le “Roi Stevan” du Morbihan méridional?

Rien de tout cela. Notre roi Morvan est un personnage historique, dont l’existence est tout aussi attestée que celle de son adversaire, l’empereur Louis le Pieux (également appelé “le Débonnaire”), fils et unique héritier de Charlemagne. Et il vaut la peine de se demander pourquoi et comment l’empereur d’Occident ne dédaigna pas, en 818, de venir en personne, à la tête de la plus puissante armée de l’époque, affronter au coeur de l’Armorique ce chef breton en rébellion contre l’autorité carolingienne.

Précisons d’abord que la source documentaire fondamentale est, sur ce personnage et ces événements, abondante et circonstanciée: elle tient dans les Faits et Gestes de Louis le Pieux, longue épopée en vers latins, rédigée par Ermold le Noir, ecclésiastique appartenant à la suite de l’empereur, qu’il accompagna dans cette expédition. La relative notoriété de Morvan, parmi les dignitaires bretons de son époque, tient sans doute à cette oeuvre grandiloquente et ampoulée, tout entière à la gloire de l’empereur, et qui s’efforce avec application de décrire les Bretons et leur chef Morvan (Murmannus en latin) comme des brutes incultes, sanguinaires et à peine civilisées.

L’enjeu du conflit

Quant à l’enjeu de ce conflit, il ne peut apparaître que si l’on a en tête la géographie politique de cette époque: d’un côté, les Bretons, installés dans la péninsule par une migration quasi continue à partir de leur île d’origine (la “grande” Bretagne, en fait la seule “Britannia” à porter ce nom dans les documents, au moins jusqu’au VI ème siècle). Ils ont mis en place, sur ce territoire où ils ont forgé les fondements de notre patrimoine, un mode d’appropriation de l’espace aussi original que leurs structures sociales et religieuses. D’autre part, l’empire d’Occident, aboutissement des efforts de Charlemagne (mort en 814) pour rassembler sous son contrôle, dans un système de relations féodales, tous les territoires d’Europe autrefois inclus dans l’Empire Romain, ainsi que l’ancienne Germanie. Dans la perspective carolingienne, les Bretons d’Armorique doivent, bien évidemment, se mettre sous la coupe de l’empereur; le témoignage le plus tangible de cette soumission est le tribut, somme d’argent versée à l’empereur.

Précisions sans doute bien utiles: les Bretons parlent …breton (c’est à dire le britonnique de cette époque, parlé également par ceux d’entre eux qui sont restés outre-Manche). Cette langue est déjà le vecteur d’une littérature non négligeable, de l’étude philosophique, de la prédication. Ils sont, du reste, déjà bilingues: ils manient bien le latin, qui est la langue internationale de l’époque. L’empereur Louis, dont la capitale est Aix-la-Chapelle et qui siège également à Worms ou Trèves, parle une langue germanique qui ressemble probablement au haut-allemand. Quant au français, il n’a, tout simplement, encore aucune existence attestée.

Or, les Bretons, depuis déjà longtemps, refusent de payer le tribut qui signifierait leur soumission; avant Charlemagne, les chefs francs ont parfois affronté les Bretons, parfois tenté de les ménager. Charlemagne lui-même avait placé au commandement militaire de la frontière (la “marche” de Bretagne) son neveu Roland (celui qui fut défait par les Basques à Roncevaux): c’est à dire que la mission n’était pas de tout repos. Sous le règne du premier empereur, ce sont trois expéditions qui furent dirigées contre les Bretons.

Une guerre de plusieurs mois

Ainsi, après la mort de son père, c’est à la même insoumission que se trouva confronté l’empereur Louis. A la différence de Charlemagne, qui confiait les campagnes à ses préfets, il vint en personne affronter Morvan.

L a campagne dura plusieurs mois (indice qu’elle ne fut pas qu’une promenade de santé pour les troupes impériales). Il est fort probable que Langonnet en fut un des théâtres majeurs: on sait, par exemple, que l’empereur avait établi son camp sur les rives de l’Ellé, en Priziac( vraisemblablement du côté de l’Abbaye). Le lieudit “Minez Morvan” peut être un témoignage de ces événements.

Le roi Morvan fut tué au cours de cette guerre. Ermold le Noir rapporte qu’il fut décapité par un soldat franc, et qu’il fallut, pour l’identifier, recourir à Witchaire, l’émissaire que lui avait envoyé Louis, avant le déclenchement des hostilités, pour négocier le paiement du tribut.

A l’issue de ce conflit, les Bretons furent soumis… pendant quelques années: dès 822, puis en 825, l’empereur revenait en Bretagne pour affronter un nouveau rebelle, Wiomarc’h. En 830, ce sont ses propres vassaux qui refusent d’engager une nouvelle expédition. Louis choisira alors de confier à un Breton, Nominoë, la charge de “missus imperatoris” (représentant de l’empereur); en 851, Charles le Chauve, successeur de Louis dans un Empire désormais éclaté, reconnaîtra que le roi Erispoë dirige la Bretagne comme “royaume subordonné” (statut d’ordinaire réservé par les Carolingiens aux membres de leur famille).

Autre fait d’importance: à l’issue de la guerre, en 818, Louis le Pieux convoqua à Priziac Matmonoc, abbé de Landévennec, pour obtenir que les moines de la principale abbaye bretonne se conforment aux usages en vigueur dans le reste de l’Empire: c’est à partir de cemoment, par exemple, qu’ils adoptent la règle de Saint Benoit d’Aniane et qu’ils renoncent à la tonsure “insulaire” qui devait les distinguer de façon spectaculaire: ils avaient la tête rasée d’une oreille à l’autre, et portaient les cheveux très longs sur la nuque.

Qui est le Roi Morvan?

Qui est le Roi Morvan? Il y a plus de mille ans, son nom a été, un temps, celui de la résistance aux appétits de l’Empire. L’oeuvre d’Ermold Le Noir a eu, en Bretagne, l’effet inverse de celui qu’il escomptait: non seulement elle livre aux historiens des détails précieux sur le mode de vie d’un souverain breton (pas si éloigné, semble-t-il, de celui d’un dignitaire carolingien), et sur les qualités militaires d’une armée bretonne visiblement très entraînée à la guérilla et rompue à la réflexion stratégique; mais elle a surtout, et très tôt, fait de ce roi “résistant et martyr” Lez-Breizh (littéralement: “la hanche” ou “les reins” de la Bretagne: comprendre “le soutien des Bretons”).

Il n’est donc pas surprenant que La Villemarqué, en pleine période romantique, livre dans le Barzhaz Breizh cinq gwerz sous le titre général de “Lez-Breiz”

Texte paru dans le bulletin municipal de 2010. Signé Anne-Marie Gloaguen

Source principale: Joël Cornette, Histoire de la Bretagne et des Bretons, Tome 1 (Ed. du Seuil, coll. Points).